Douze ans pour agir, pas pour régner: en finir avec les baronnies locales et élire directement l’intercommunalité
- eafbd3
- Sep 24
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On a beaucoup célébré la « renaissance locale » sans voir qu’elle s’est jouée ailleurs que sur la scène municipale. Tandis que la République s’attache à ses maires, la décision s’est déplacée, silencieusement, vers l’intercommunalité. Les chiffres sont têtus: les collectivités assument autour de 58 % de l’investissement public national, soit environ 54 milliards d’euros en 2022, dont les deux tiers portés par le bloc communal (« Inspection générale des finances, “L’investissement des collectivités territoriales”, 2023–2024 »). Dans un pays qui compte encore 34 875 communes au 1er janvier 2025 et 1 254 EPCI à fiscalité
propre, l’écart est flagrant entre l’ampleur réelle des compétences exercées et la modestie des mécanismes de sanction électorale à l’échelle où se prennent les décisions (« Insee, “Code officiel géographique 2025” »; « DGCL, “Bilan statistique des EPCI à fiscalité propre, 2025” »).
Le paradoxe est achevé par l’abstention record des municipales de 2020, où la participation s’est effondrée. On incrimine la pandémie; ce serait imprudent d’y voir l’unique cause tant le déficit de lisibilité institutionnelle nourrit le décrochage civique (« Ministère de l’Intérieur, “Élections municipales 2020 – participation” »). Cet article défend une thèse simple: pour réarmer la légitimité de l’action locale, il faut élire directement les exécutifs intercommunaux, limiter strictement à deux mandats consécutifs maires et présidents d’EPCI, et ouvrir des leviers de démocratie directe encadrés. Le temps long demeure nécessaire; il n’a pas vocation à s’éterniser.
I. Le déplacement du pouvoir local: preuves et conséquences
1) Le poids réel du bloc communal
Les données convergent. Les collectivités demeurent le premier investisseur public (≈58 %), avec 54 Md€ d’équipement en 2022; le bloc communal en porte les deux tiers (« IGF, “L’investissement des collectivités territoriales”, 2023–2024 »). En 2023, ses dépenses d’investissement atteignent environ 45,7 Md€ hors dette (« OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »). Autrement dit, c’est ici que se décident l’entretien des ponts et des digues, la modernisation des réseaux d’eau, la qualité des mobilités, l’ouverture des zones d’activités. Ce ne sont pas des détails techniques, ce sont des conditions d’existence territoriales.
2) Des compétences structurantes… exercées ailleurs qu’au conseil municipal
Trois domaines suffisent.Eau et assainissement: la loi du 11 avril 2025 confirme l’échelle intercommunale comme maille opérationnelle pour les tarifs, la lutte contre les fuites et les investissements sanitaires (« Loi n° 2025-327 du 11 avril 2025, “Eau et assainissement en communautés de communes” »).Mobilités: la LOM redessine la carte des autorités organisatrices (AOM), précise la montée en charge des régions quand les communautés de communes n’optent pas pour la compétence, et cadre les bassins de mobilité (« Loi d’orientation des mobilités, JO 24 décembre 2019 »).Urbanisme: le PLUi consacre le rôle de l’EPCI, avec substitution de plein droit en cas de transfert; l’élaboration et l’approbation s’y décident (« Code de l’urbanisme, dispositions relatives au PLUi »).Dans chacun de ces champs se jouent factures d’eau, temps de trajet, disponibilité du foncier, localisation des entreprises et sécurité des ouvrages.
3) Une lisibilité démocratique demeurée en arrière
Le citoyen vote municipal puis découvre que la délibération véritable s’est tenue à l’échelon intercommunal. Les « arrangements » post-scrutin produisent des exécutifs communautaires peu exposés, donc peu sanctionnables. Dans ce contexte, l’érosion de la participation municipale n’est pas seulement un épisode sanitaire; elle devient le symptôme d’une déconnexion croissante entre le lieu du vote et le lieu de la décision (« Ministère de l’Intérieur, “Élections municipales 2020 – participation” »).
II. Deux mandats, pas davantage: le bon usage du temps long
On confond volontiers « temps long » et perpétuation. Or douze ans suffisent pour concevoir et approuver un PLUi, boucler deux cycles d’investissement sur l’eau et l’assainissement avec baisse mesurable des fuites, stabiliser un plan de mobilité, livrer des équipements majeurs et corriger les erreurs initiales. Au-delà, l’argument du temps long devient rente de situation. Les données récentes confirment l’intensité des cycles d’investissement et la nécessité d’arbitrages lisibles pour rester soutenables (« OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »; « Cour des comptes, “Finances publiques locales 2024” »). La continuité administrative (services, ingénierie, contrats) assure la trajectoire; elle n’exige pas la perpétuation des mêmes visages.
III. Une réforme électorale et institutionnelle à la bonne échelle
1) Élection directe des conseils et présidences d’EPCI
Le même jour que les municipales, sur bulletin distinct. On ne « découvre » plus la présidence communautaire au gré d’accords de couloir: on la choisit. Le lien compétence–responsabilité se tend enfin, au niveau qui fixe les tarifs d’eau, le périmètre des mobilités, la densité urbaine et les grands contrats de déchets. L’argument décisif n’est pas ornemental mais civique: rendre visible à l’électeur le lieu où se décide ce qui le touche (« DGCL, “Compétences des EPCI à fiscalité propre” »).
2) Limitation stricte à deux mandats consécutifs pour maires et présidences d’EPCI
Deux mandats pour faire œuvre, pas davantage. La rotation ne méprise pas l’expérience; elle évite l’installation, crée un appel d’air pour de nouveaux profils, réduit les clientèles que la durée fige.
3) Démocratie directe encadrée à la maille pertinente
Trois instruments, sobres et exigeants.Référendum local d’initiative citoyenne (commune et EPCI) pour les décisions « lourdes » dépassant un seuil financier ou engageant un document-cadre (PLUi, plan de mobilité, contrats eau/assainissement, marchés déchets) avec seuils d’initiative et quorum.Droit de révocation unique à mi-mandat, sous quorum, pour rappeler qu’un mandat se mérite du premier au dernier jour.Budget participatif obligatoire à 5 % des dépenses d’équipement du bloc communal, avec publication de l’exécution et évaluation ex post (« OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »).
4) Transparence, conflits d’intérêts et traçabilité des décisions
Publication trimestrielle en accès libre des contrats, délégations, avenants et montants payés; registre des rencontres d’intérêt pour les exécutifs; incompatibilités renforcées avec les SEM/SPL; délai de « refroidissement » avant toute reconversion chez un attributaire. Cette hygiène est proportionnée à l’ampleur des engagements financiers locaux (« IGF, “L’investissement des collectivités territoriales” »; « Cour des comptes, “Finances publiques locales 2024” »).
IV. Effets attendus: quotidien, économie, sécurité des infrastructures
1) Vie quotidienne: l’eau, les déchets, les trajets
L’élection directe rend imputables les trajectoires tarifaires de l’eau, la politique anti-fuites, la qualité sanitaire et la continuité de service. L’aménagement des transferts et délégations en 2025 n’a de sens que si l’électeur peut sanctionner au bon niveau (« Loi n° 2025-327 du 11 avril 2025, “Eau et assainissement” »). Côté mobilités, l’architecture issue de la LOM s’éclaire si l’autorité organisatrice est politiquement lisible: bassins de mobilité, cohérence tarifaire, priorités d’offre, accès à l’emploi et qualité de l’air (« Loi d’orientation des mobilités, JO 24 décembre 2019 »).
2) Compétitivité: foncier, planification, accueil des entreprises
Le PLUi concentre les choix de densité, de mixité et de consommation d’espace, avec substitution de plein droit en cas de transfert. Un PLUi clair, discuté, éventuellement soumis à référendum pour trancher des lignes rouges, réduit l’aléa réglementaire et améliore la prévisibilité pour les investisseurs (« Code de l’urbanisme, dispositions relatives au PLUi »).
3) Sécurité des infrastructures: du « bon père de famille » au pilotage public
L’audit citoyen des ouvrages (ponts, digues, réseaux d’eau, stations d’épuration, cybersécurité des services essentiels) s’impose au regard des volumes d’investissement déjà mentionnés. Tableaux de bord trimestriels, hiérarchisation publique des risques, arbitrages budgétaires explicités: on passe de la rhétorique à la maintenance prouvée (« OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »; « Cour des comptes, “Finances publiques locales 2024” »).
V. Conditions d’entrée en vigueur et mesure des résultats
Une loi ordinaire pour l’élection directe intercommunale, la démocratie directe et la transparence; une loi organique pour la limitation de mandats. Le tout peut être arrimé au prochain cycle municipal complet. Cinq indicateurs simples pour juger:
Participation intercommunale en hausse significative par rapport à 2020, référence basse mais documentée (« Ministère de l’Intérieur, “Élections municipales 2020 – participation” »).
Baisse d’au moins 20 % des « restes à réaliser » sur l’équipement communautaire à deux ans (« Cour des comptes, “Finances publiques locales 2024” »).
Exécution annuelle > 85 % des budgets participatifs d’équipement (« OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »).
Publication exhaustive et à échéance des jeux de données contractuels (« IGF, “L’investissement des collectivités territoriales” »).
Taux de primo-élus ≥ 40 % dans les conseils communautaires (« DGCL, “Bilans statistiques – intercommunalité” »).
Conclusion
La France locale a déplacé sa gouverne sans déplacer ses rituels. De là vient l’essentiel du malentendu démocratique: on vote ici, on décide là. Les données ne prêtent pas à la poésie: 58 % de l’investissement public, 45,7 Md€ d’équipement pour le seul bloc communal en 2023, des compétences cardiales en eau, mobilités et urbanisme tenues à l’échelle intercommunale (« IGF, “L’investissement des collectivités territoriales” »; « OFGL, “Finances des communes et intercommunalités en 2023” »).
Rendre cette échelle visible, révocable, mesurable n’est pas une marotte institutionnelle. C’est la condition de l’efficacité et de la justice: deux mandats pour faire œuvre, l’élection directe pour répondre de ses choix, et des outils civiques bien taillés pour arbitrer les décisions lourdes. Le reste, arrangements et connivences, appartient aux anciens usages. Qu’on les salue, puis qu’on les quitte.
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